par KA Records » 12 Avr 2010 22:59
Voilà, j'ouvre ce post pour pouvoir discuter plus longuement d'idées qui ont été lancées dans une autre rubrique, à propos de l'Égypte antique et de la pertinence avec Rastafari, et plus largement avec le reggae.
Pour commencer, je prendrai celui qui peut être considéré comme à la base de Rasta, Marcus Garvey. Je pourrai commencer par la Bible me direz vous, mais nous y reviendrons souvent en parlant du leader jamaïcain, considéré par les Rastas comme prophète.
Pour schématiser, Marcus Garvey est l'un des premiers et probablement le plus influent des leaders noirs de l'Amérique post esclavagiste. Syndicaliste, orateur talentueux, il rassemble rapidement derrière lui des millions de Noirs américains ou caribéens autour de l'UNIA, mouvement qui vise à l'amélioration des conditions de vie des Noirs en Amérique. Il cherche alors à l'époque à redonner une conscience collective aux descendants d'esclaves, car il ne faut pas oublier que dans la plupart des ex colonies, en ce début de XXème siècle, l'abolition de l'esclavage est récente, les lynchages courants et les discriminations permanentes. L'idée principale de Marcus Garvey est que les Noirs ne pourront jamais bien vivre, s'émanciper en Amérique, car les institutions ont été créés par des Blancs et pour des Blancs, et ces derniers agiront toujours en fonction de leurs intérêts personnels. Le leader soulève alors la question du rapatriement en Afrique des millions de descendants d'esclaves, notamment à travers la Black Star Line, une ligne maritime devant relier l'Amérique à l'Afrique.
Je ne vais pas détailler les raisons de l'échec de cette initiative, mais Garvey était parvenu à acheter plusieurs navires grâce à la participation de millions d'actionnaires. Des trahisons internes mêlées aux pressions politiques, à la fois du côté américain et africain ont mis un terme au projet ambitieux.
Parallèlement à cette idée, Marcus Garvey a été un des premiers, avec Booker Washington et W. Dubois a redonner une fierté au peuple noir, en montrant la place qu'il avait eu dans l'histoire, après des siècles d'abaissement et d'humiliations. Pour lui, les Noirs n'avaient pas à se comparer aux Blancs, ils devaient eux mêmes créer leur propre force, économique, sociale et spirituelle. Dans cette optique, le travail que des historiens pouvaient accomplir était fondamental pour montrer que l'homme noir, lui aussi, avait été à l'origine de la civilisation. Il s'agissait vraiment de redonner confiance à un peuple qui avait subi un véritable lavage de cerveau pendant plusieurs siècles.
Dès la fin de l'esclavage aux Etats Unis, des intellectuels noirs avaient parlé de grandes civilisations créées sur le continent noir, et le terme Ethiopie rassemblait les différentes régions considérées. En effet, et ce depuis les premiers siècles de notre ère, le terme Ethiopie, qui vient du grec, désigne bien souvent l'ensemble de l'Afrique. L'Ethiopie a donc assez tôt après la fin de l'esclavage cristallisé les attentes et les espoirs d'une partie du peuple noir d'Amérique, d'autant plus après la victoire des Éthiopiens face aux Italiens à Adoua, en 1886.
Enfin, Marcus Garvey a joué un rôle spirituel, bien connu chez les rastas, et on lui attribue une fameuse phrase : Regardez vers l'Afrique où un roi noir sera couronné [...]. Cela traduit une conception religieuse assez récente, qui suit ce qui a été développé précedemment, et qui démarre avec Athlyi Rogers, un Jamaïcain contemporain de Garvey. Rogers, reconnaît lui aussi la nécessité pour les Noirs de se doter de leurs propres codes, et notamment de ne pas prier le même dieu que les Blancs. Il souligne l'importance de prier le Dieu d'Ethiopie, et reformule les 10 commandements de l'Ancien Testament. Il publie l'ouvrage The Holy Piby en 1924, qu'il sous titre "The Blackman's Bible" et fonde sa propre Eglise. Dans cette version très écourtée de la Bible, il explique que Dieu lui est apparu et lui a dit de modifier des choses erronées présentes dans les Ecritures, comme la malédiction de Cham. (l'un des 3 fils de Noé, Noir, qui, par le plus grand des hasard serait victime d'une malédiction, ce qui permit à l'Église catholique de justifier la traite).
Marcus Garvey se situe dans ce contexte, il connait bien Athlyi Rogers, et parle lui aussi du Dieu d'Ethiopie ; la prophétie qui prédit l'arrivée du roi africain est donc intimement liée à cette nécessité de montrer un passé glorieux de l'Afrique et de l'homme noir, afin de construire un avenir solide. Garvey pensait que la puissance économique était le premier pas, pour ne pas subir l'oppression.
Voilà pour la partie sur Marcus Garvey, quel rapport avec l'Égypte antique ?
Je ne vais pas sauter les étapes, ni être trop long, mais il fallait vraiment insister sur le contexte d'apparition de Rasta en Jamaïque, en dehors du couronnement de Haile Selassie I. Les idées de rapatriement, de civilisation noire, africaine, de roots and culture chères aux rastas se retrouvent ici. L' Égypte antique, située en partie en Nubie (Soudan/Ethiopie), et provenant de cette région, est la civilisation à laquelle font références les leaders et intellectuels noirs du début du siècle, car elle est mère des autres civilisations. C'est elle qui peut donc servir d'exemple face à la civilisation occidentale, et je vais détailler certaines de ses caractéristiques, pour montrer les liens qui existent avec Rasta, et l'importance que cela comporte.
Je continuerai demain...